
France Telecom, alias Orange, a probablement le plus mauvais esprit commercial de toutes les sociétés de téléphonie et d’internet. Malgré la privatisation partielle du groupe en 2004, le personnel de FT continue de penser et de réagir comme des fonctionnaires d’une société d’état en position de monopole. Les cadres du marketing et du commercial au siège sont apparemment très loin de la base et ne doivent pas jouer souvent les « clients-mystère ». Les conversations avec les services consommateurs externalisés en Tunisie, en Algérie ou au Maroc sont supposées être enregistrées, mais les bandes ne doivent pas être écoutées très souvent, sinon le personnel ne se permettrait pas de raccrocher au nez du client, comme cela a été le cas pour moi la semaine dernière.
Sur le graphe ci-dessous, l’histoire de la société se lit entre les lignes. FT cherche à acquérir une taille internationale en achetant à tout-va des sociétés concurrentes dans le monde, en les payant au prix fort, dans l’euphorie de la « Bulle Internet ». En 2002, France Telecom sera la deuxième société la plus endettée au Monde. Quand les actionnaires s’aperçoivent que leur société doit rembourser chaque année entre cinq et quinze milliards de dettes, ils vendent leurs titres, qui s’effondrent passant de 219€ à 6,94€. Le contribuable français va devoir sauver France Telecom de la faillite.

NExT
De 2008 à 2011, des vagues successives de suicides au sein de la société montrent la difficulté des anciens fonctionnaires à s’adapter à un monde concurrentiel (12 en 2008, 19 en 2009, 27 en 2010, 11 en 2011). Les tensions internes en sont la cause. La direction avait prévu un départ volontaire de 22.000 employés. Pour que des fonctionnaires donnent leur démission, il fallait leur mener la vie dure. Un ex-Directeur régional révèlera l’existence d’une « courbe du deuil », qui prouvait que la direction avait anticipé les phases de dépression par lesquelles sont passés les salariés. Les études ont montré que déjà à cette époque, le personnel de France Telecom était incapable d’adapter leur statut de fonctionnaire à des modes de gestion moderne.
« Management par le stress, Mobilités forcées, Mouvement perpétuel, Mise au placard et Mise en condition de retraite forcée… Voici les « 5 M » qui, selon les chercheurs de l’Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Telecom, définissent la stratégie managériale de cette entreprise. (source) Sur BFM, une gérante de fond d’investissement expliquait qu’elle ne retenait dans son fond, que des sociétés, qui répondaient à des critères très précis en matière de management du personnel. La ponctualité des employés, l’absentéisme, le nombre de jours de congés maladie, etc., montraient des tensions internes dans l’entreprise. Ces tensions internes aboutissaient systématiquement à plus ou moins court terme à une dégradation des résultats de la société.
Le graphe de France Telecom en est la preuve. La politique désastreuse de la direction des ressources humaines amène une baisse du titre de 2007 à 2010. La baisse est contenue dans un canal jusqu’à fin décembre 2010, quand avec 27 suicides, l’ambiance létale d’Orange est à son apogée. Au-delà le titre s’effondre. Aujourd’hui, une accélération se dessine vers le bas du canal.
THIERRY BRETON
Le concepteur de NExT, ce plan d’écrémage volontaire du personnel de France Telecom, est Thierry Breton.
Thierry Breton est un collaborateur de René Monory dès 1982 avant de suivre son mentor au Ministère de l’Education Nationale en 1987, en tant que conseiller pour l’informatique et les technologies nouvelles, il siègera au Conseil régional de Poitou-Charentes de 86 à 92, que préside JP Raffarin. Comme quoi un petit vernis informatique et un bon entregent peut ouvrir de grandes carrières.
Il va participer activement à la conception du Futuroscope. Ses mentors et mandataires vont faire en sorte que l’Education Nationale assure un fond de clientèle captif et récurrent à ce parc d’attraction. Cela ne serait pas choquant, si 45% du capital du Futuroscope n’était pas entre les mains de la « Compagnie des Alpes« . En suivant le lien, vous comprendrez alors les liens intimes entre Banquiers et Hommes politiques…
Seriez-vous étonné de voir Thierry Breton chargé d’une mission en 1993 par Balladur, avant de le voir œuvrer chez Bull, Thomson et France Telecom ? FT qu’il quitte pour devenir Ministre de l’Economie et des Finances de 2005 à 2007. Tiens donc, les contacts aux conseils d’administration du Futuroscope auront été fructueux. On se souviendra que George Pompidou avant d’entrer en politique était associé gérant au sein d’une banque privée. D’ailleurs, cette pépinière aura fait éclore des politiques de premier rang de manière récurrente.
Si vous faites quelques recherches sur ce personnage, qui gravite de Grandes Entreprises Publiques en Ministères, vous verrez qu’il entre en 1993 chez Bull (autrefois connu comme CII-Honeywell-Bull ).
Pour mémoire, le Général de Gaulle en 1966 va lancer le PLAN CALCUL. Il s’agit à l’époque d’assurer l’indépendance de la France en matière informatique, pour ne pas dépendre des Américains. Le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) utilisait de très gros ordinateurs IBM et une firme française, concurrente directe d’IBM, BULL venait de se faire manger par General Electric, créant un choc national. Le Plan CALCUL lança donc la création de CII (Compagnie Internationale Informatique) pilotée par Thomson et la CGE (Compagnie Générale d’Electricité). L’Etat français n’est là en théorie qu’en soutien. Ce plan ambitieux, qui devait en 1971 se transformer en un projet européen, va lentement s’embourber dans les lourdeurs administratives, avant d’être sabordé par VGE.
Thierry Breton entre donc chez Bull en 1993, où il sera d’abord directeur de la stratégie et du développement, avant de devenir DG, puis vice-président. Pour les actionnaires, Thierry Breton n’était peut être pas le directeur du développement idéal, puisque la valeur du titre en bourse va passer de 500 à 53 sous son règne. La stratégie LT insufflée à BULL par Thierry Breton n’a pas du être comprise par ses successeurs, puisque l’action côte aujourd’hui 2,3.
Il quitte Bull pour entrer chez Thomson. On reste dans la famille, comme on l’a vu plus haut. Il est difficile de s’y retrouver dans l’histoire de ce groupe aux multiples facettes, qui a beaucoup changé de noms Thomson-CSF, Thales, Technicolor. On retrouve la technique de BRETON. On sollicite l’Etat et les contribuables de 11 Milliards de Francs (recapitalisation de 1,7 Mds €), on dégraisse le mammouth et on privatise par appartements le meilleur de la technologie française (électronique, armement, aérospatiale, électroménager, multimédia). L’Etat vendra ses 18,5% dans le groupe en 2003, pas trop mal il est vrai.
Pour revenir à France Telecom
Thierry Breton et ses successeurs ont essayé de réaliser une privatisation complète d’un service d’Etat. Virer des fonctionnaires à vie est, bien sûr, un exercice impossible. Avec un climat social aussi tendu, France Telecom, dans un univers concurrentiel, est mal placé pour gagner, d’autant plus que les syndicats les plus durs vont cultiver une agressivité négative au détriment du service client.
De ce fait, dés son lancement, FREE va prendre 35% du marché. Aujourd’hui encore, Free prendrait un nouveau client sur deux. Cela se voit dans les cours.

Au printemps dernier, France Telecom en téléphonie mobile a fait passer ses clients souhaitant une offre commerciale plus compétitive de Orange vers une sous-marque Sosch, mais sans leur annoncer que tous leurs points fidélité seraient gelés chez Orange. Il leur est donc impossible de changer de téléphone portable sans revenir chez Orange… Mais cette réalité-là est déjà dépassée. En novembre, Orange a supprimé les points fidélité de tous ses clients sans offrir des explications au préalable à sa clientèle. Un client souhaitant changer de portable et de forfait aura droit à une offre personnalisée, mais ses avantages accumulés ne seront plus mesurables comme auparavant. France Telecom a basculé du côté obscur.
Si vous jouez en bourse, faut-il hésiter à accompagner FT vers la sortie en shortant le titre ? Ils ont utilisé leurs dernières cartouches en rachetant leurs titres en juin-juillet comme on le voit sur le graphe. Leur live-box de dernière génération, lancé la semaine dernière, ne va pas les sauver. Le titre devrait aller vers ses plus bas… et franchement, en tant que client, mon avis c’est qu’ils ne valent pas mieux. Ils sont en dessous de tout.